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Bangalore, ville de paradoxes.

lundi 16 avril 2007, par Douchan Palacios

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Rétrospective sur les multiples héritages d’une ville moderne indienne

Silicon Valley indienne.

C’est la première chose qu’on vous dira àson sujet.
Bangalore, capitale du Karnataka, 6,5 millions d’habitants, a su profiter de l’ouverture des frontières commerciales de l’Inde dans les années 90 pour se positionner comme ville pionnière des industries aéronautique, biochimique, informatique et de service : les fameux call centres (centres de relais téléphoniques pour maintenance informatique)(1).
Aujourd’hui elle attire toujours plus de jeunes diplômés parfois prêts àchanger de domaine professionnel pour profiter des salaires les plus élevés de l’inde liés àl’arrivée massive des multinationales de l’informatique. Depuis dix ans, Bangalore connaît une explosion démographique sans précèdent, couplée àune augmentation du pouvoir d’achat et àune forte inflation.
Fière de participer au nouveau rayonnement de l’Inde àl’échelle mondiale, Bangalore se veut résolument moderne et culturellement tournée vers l’occident, dans un subtil équilibre entre tradition et modernité...Considérer par exemple le rickshaw comme élément récurrent àtravers l’Inde, permet par comparaison d’entrevoir ce nouveau visage de la société indienne : ici le chauffeur de rickshaw parle bien anglais, conduit avec une oreillette reliée àson portable et fume des cigarettes plutôt que des bidies(2).

Ville de garnison.

C’est sous la gouvernance britannique que Bangalore devient capitale d’état et que de nombreuses industries seront implantées. Sa situation centrale sur le plateau du Deccan en fait une place stratégique pour l’administration du sud de l’Inde : Bangalore va devenir une ville de garnison composée d’immenses cantonments qui accueilleront tant les logements des soldats, que les espaces d’entraînement ou encore toute l’industrie de l’armement. Ces nouveaux quartiers aménagés en marge de la vieille ville vont profondément structurer et contraindre le développement futur de la ville.
Aujourd’hui ces espaces, appartenant toujours àl’armée, persistent sous la forme de vastes enclaves clôturées qui ont échappé àla croissance frénétique de la ville. Ils se comportent comme des poches imperméables que les réseaux routiers s’efforcent de contourner créant ainsi de véritables obstacles quotidiens àla logique urbaine. C’est ainsi qu’on peut trouver en plein centre ville (voir carte), entre le stadium et le quartier des affaires, un immense terrain vide de plusieurs hectares réservé aux parades militaires.
Ces « poches  » constituent pourtant de fantastiques opportunités foncières et paysagères pour Bangalore car elles renferment encore de larges espaces boisés, véritables poumons pour l’agglomération.

Garden city.

Car c’est justement les qualités paysagères et climatique de Bangalore qui ont attirés aussi bien l’administration coloniale que les investisseurs de technologies de pointe. Située à1000 mètres d’altitude, sur le plateau du Deccan, elle a toujours échappé aux fortes chaleurs de l’été et constitue un lieu idéal de villégiature, dans un cadre naturel luxuriant (3).
Dès le début du XVIII° siècle les officiers britanniques s’intéressent àune caractéristique singulière àla région : un réseau de mille et un lacs, constellation de retenues d’eaux semi artificielles qui communiquent toutes entre elles par des écluses et des drains . Ces réservoirs servaient àstocker les eaux de pluies, àirriguer l’agriculture et àrecharger la nappe phréatique, selon un modèle autonome et durable de gestion des ressources naturelles.
L’urbanisation rapide de la ville a provoqué la disparition de nombreux arbres et de la moitié des lacs de Bangalore en l’espace de dix ans. Les drains, eux, se sont transformés en larges égouts àciel ouvert qui sillonnent les quartiers jusqu’aux lacs qui polluent àleur tour les eaux souterraines.

Quel héritage ?

Alors vers quel modèle s’achemine maintenant la ville de Bangalore ?
L’utilisation massive de l’air conditionné, la destruction des ressources naturelles, l’urbanisation anarchique, l’extrême pollution font que la chaleur se substitue peu àpeu la fraîcheur légendaire de la ville.
Les pouvoirs publiques semblent avoir démissionné de leurs fonctions : ramassage d’ordures irrégulier, coupures d’eau et d’électricité fréquentes, état des infrastructures routières déplorable...poussent les habitants et les grandes entreprises àopter pour des solutions individuelles. Dans ce cas comment imaginer un retour bénéfique des investissements étrangers sur la ville et les services publics ?
La course effrénée vers la modernité met Bangalore dans une situation ambiguë et paradoxale : elle semble avoir hypothéqué son héritage au profit d’un rêve de techno city qu’elle ne paraît pas en mesure de réaliser. Aujourd’hui on se trouve dans une situation d’entre deux, qui n’offre ni la vitalité de la ville traditionnelle indienne ni l’efficience d’une cité moderne.
La vie continue, bien sà»r, mais si Bangalore se veut de fer de lance de la "Shining India" on peut se demander àquel prix l’Inde va réaliser son tour de force àl’échelle mondiale.

(1)« Bangalore, Silicon Valley àl’indienne  » par Michel Raffoul, Le Monde Diplomatique, janvier 1997

(2) Le véhicule lui-même est rarement décoré, sa décoration diminuant àmesure que la considération pour la femme grandit, parait-il.

(3) "Deccan Traverses : The making of Bangalore’s terrain†. Anuradha Mathur and Dilip Da Cunha, 2006, Rupa&Co editions.

Illustrations :
[1] Call centre de Bangalore
[2] Carte de cantonments de Bangalore en 1924
[3] Une avenue type le long d’une emprise militaire
[4] Bangalore vu depuis la Mysore Bank : au premier plan, le parc de la haute Court du Karnataka.
[5] Carte du réseau de lacs préexistant dans la région
[6] Vue d’un drain dans le quartier de Koramangala
[7] Carte de synthèse de la situation contemporaine.
[8] La banque de Mysore par Charles Corréa : un des rares bâtiment qui fasse sens dans Bangalore. Expression intemporelle des volumes, groupement de tours en forme de cheminées d’extraction : les tuyaux de béton qui se retournent àl’horizon font plus que « voir pour nous  », ils respirent pour nous !