Ma première année à Bangkok m’a fait découvrir la richesse de l’architecture spontanée des bidonvilles, beauté paradoxale quand on évoque les conditions de vie précaires de leurs habitants. La capitale multiplie les surprises avec ses espaces délabrés débordants pourtant de couleurs et de fleurs en feu d’artifice. Je m’étais rendue compte de l’attachement des gens à leur communauté, leur chez-soi, et pour cela les projets de relogements autoritaires dont j’avais entendu parlé ne me paraissaient pas forcément la meilleure solution.
Je suis repartie à Bangkok en 2007 pour connaître les politiques actuelles face au mal logement et réfléchir à un moyen de les rendre plus adaptées à ses futurs utilisateurs par le biais de mon PFE. Je voulais récupérer un de ces squelettes de béton qui hérissent la ligne d’horizon : une tour abandonnée pendant sa construction à cause de la crise de 1997.
Ces structures (près de 400 dans Bangkok !) représentent un véritable défi pour l’urbanisation et la densification du centre, elles sont d’ailleurs plutôt en bon état et implantées là où la spéculation foncière atteint des sommet, et les vendeurs de rues font leur chiffre d’affaires le plus important.
J’ai choisi mon site de projet en fonction de sa position stratégique, à l’intersection des voies de transport superposées en plein cœur de la zone touristique et commerciale. Mon site était déjà squatté par des marchands ambulants, le signe que ces plateaux libres peuvent accueillir une population marginalisée des bidonvilles.
Les logements spontanés servent souvent d’atelier, de lieu de travail et de vente, un détail absent dans les relogements ou reconstructions publics mais capital pour que les gens restent et puissent vivre. Encore fallait-il décoder le fonctionnement du quartier, l’équilibre entre marché illégal, informel, et clients (touristes ou employés de bureaux) pour répondre au plus juste dans mon site.
Cette ville bouillonnante est un « mille feuilles » : l’architecture, la politique, la débrouille, la corruption se concurrencent pour maîtriser l’espace urbain. C’est l’un de mes premiers sentiments concernant la formation de la mégapole aujourd’hui. Dans ce contexte, mon entretien avec un spécialiste du logement et des bidonvilles fut salutaire. La réussite de mon PFE dépendrait de ma compréhension des « rouages » de la capitale, des intérêts de chaque acteur, mais surtout des entre-deux qui laissent la porte ouverte à l’expérimentation. Pour moi, le plus délicat dans la culture thaïe est justement de comprendre les sous-entendus, d’accéder aux informations objectives et récentes. C’est pourtant ce qui offre aussi une grande latitude d’intervention, dans le domaine social comme architectural... les flous juridiques et urbanistiques permettent de tenter de nouvelles architectures.
Le secteur informel (constructions illégales, architecture temporaire) occupe une place majeure avec ses codes et ses caractéristiques difficiles à percer pour une étrangère qui ne parle pas le thaï. Vivre dans un campus et discuter avec les enseignants architectes m’ont beaucoup aidée pour recadrer mes observations ; si le travail de terrain apprend énormément, il m’a laissée perplexe quant à l’ampleur du problème du mal logement. Les situations si variées demanderaient presque une aide au cas par cas, la capitale internationale préfère gommer les stigmates de la pauvreté sans s’apercevoir du potentiel créatif des « bidonvillois ». Ils savent concevoir des logements denses tout en respectant la culture thaïlandaise (vie sociale, espaces plurifonctionnels, cuisine extérieure ventilée...).
De façon générale, les initiatives existent mais sont freinées par un manque de communication et de coordination entre les parties. Les ONG et les temples bouddhistes réunissent cependant de nombreux habitants autour de la cause de l’habitat, et forment des mouvements très positifs et efficaces : des réseaux d’entraide, de coopératives, qui protègent voire construisent leurs maisons malgré les plans d’urbanisme de type « table rase ». CODI, un organisme public, participe de cette dynamique. On peut résumer la situation ainsi : tant qu’il y a de la mobilisation, un projet est possible pour les mal logés. Les « villages urbains » apparaissent souvent comme une inspiration pour mieux développer Bangkok. De mes échanges avec les étudiants en architecture, je conserve l’idée que s’ils ont une image précise du problème des bidonvilles, un occidental conserve une approche plus globale, à long terme, moins tournée vers l’histoire. Par là même, la confrontation des points de vue fut très enrichissante, pour mon PFE comme pour eux j’espère.
Malgré un séjour trop court pour participer à un vrai projet d’association, j’ai envie de poursuivre mes recherches sur ce pays, d’apporter ma contribution pour mieux penser le développement urbain dans la capitale. Apres ce déplacement, je pense que voyager c’est s’engager, participer, laisser un peu de soi ailleurs pour rester lucide et réaliste...mais continuer à rêver aussi.