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Diagnostic et premières leçons - II

samedi 16 octobre 2004

2.2 Réponses dans l’urgence :

- Loger les populations :

Les traces du séisme sont encore fortement visibles voire omniprésentes huit mois après. Bam semble s’apparenter àune ville fantôme, encombrée de gravats et de tentes, du temporaire qui dure depuis 8 mois.

Les tentes étaient une solution temporaire mise en place dans l’urgence afin d’abriter les populations ; elles n’avaient pas vocation àse pérenniser. Elles restent le lieu de vie de 40 % des habitants de Bam, parce que la solution post urgence prévue par les autorités (des logements préfabriqués de type « container  ») n’a pas « prise  ».

La phase post crise a été évaluée pour une durée de 4 mois àpartir de février 2004 par les autorités. Elle s’est donc achevée en juin 2004 pour laisser place àla phase de reconstruction. Selon les prévisions officielles, la gestion de la reconstruction devait se dérouler selon différentes phases : dans un premier temps, la construction de préfabriqués temporaires en dehors de la ville, prévus pour héberger les habitants de Bam sur une durée de 2 ans ; durant ces deux années, les autorités avaient prévu d’évacuer les gravats et de nettoyer la ville pour pouvoir réaliser la reconstruction et commencer àorganiser le retour de la population dans deux ans.

Seulement, cette planification de la reconstruction s’est heurtée au refus de la population. Les victimes de Bam ont pour la plupart (40 %) refusé de loger dans ces préfabriqués construits àla sortie de la ville, et ce pour plusieurs raisons.

La localisation, précisément, pose problème : les habitants refusent d’abandonner leur terrain et leurs morts : autant d’un point de vue psychologique que matériel, ils ne veulent pas abandonner leurs ruines, d’autant que des problèmes d’insécurité sont connus dans ces zones périphériques. Or, les populations affectées par le séisme, en détresse, ont plus que jamais besoin de se sentir en sécurité.
D’autre part, ces abris temporaires préfabriqués sont construits en métal avec des toits de tôle, ce qui les rend particulièrement inappropriés aux conditions climatiques de Bam, (autour de 45 degrés en été) [1] .

Les habitants de Bam demeurent donc pour la plupart en ville, dans les tentes mis àdisposition par le croissant rouge et l’aide internationale.

- Bam, patrimoine mondial ?

L’aide internationale massive autour de Bam s’est tarie depuis plusieurs mois, une fois la phase d’urgence passée. Si envisager la reconstruction de la ville semble n’être plus aujourd’hui qu’une préoccupation locale, la restauration de la citadelle semble susciter davantage d’intérêts internationaux.
Inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité au lendemain du séisme non sans polémiques, la citadelle Arg-E-Bam est fondamentale en terme de patrimoine pour l’Iran. Elle représente une source de revenus touristiques et une vitrine de l’Iran àl’étranger, en même temps qu’une référence identitaire très forte pour la population de la région de Bam. Appartenant désormais au patrimoine mondial, la citadelle est au cÅ“ur de projets de rénovation, sous la responsabilité des autorités iraniennes et de l’Unesco. Elle est donc l’objet d’un traitement différent du reste de l’habitat. En terme de financement de la reconstruction, la prioritisation est particulièrement délicate, lorsque l’on a d’un côté des habitations àreconstruire et de l’autre un vestige du patrimoine mondial àrestaurer. Cette question peut être dépassée si l’on considère l’importance de la citadelle aux yeux des habitants de Bam et leur désir de la voir restaurée au plus vite. Toutefois, on peut s’interroger sur une éventuelle tension entre les notions de patrimoine mondial et de patrimoine populaire. L’appropriation de ce patrimoine devenu mondial par les habitants des lieux dot être envisagée, afin qu’ils ne se sentent pas dépossédés d’un patrimoine fondamental pour leur identité.

- Déplacer Bam ?

La ville de Bam et sa région sont situées au sud est de l’Iran sur l’une des branches du système de faille de Nayband-Gowk qui a généré plusieurs séismes significatifs depuis 25 ans. Suite au séisme du 26 décembre 2003, la question de l’emplacement approprié pour la reconstruction a été posée.
Le débat a donc été ouvert entre acteurs gouvernementaux, institutions internationales et Ong désireuses d’agir dans le domaine de la reconstruction. En effet, la ville de Bam étant située sur une faille sismique connue orientée nord sud, l’une des solutions envisagées dans l’urgence était de considérer l’éventualité d’un déplacement de la population et d’un processus de reconstruction localisé dans une zone moins sensible aux risques sismiques. Cette éventualité, qui semble déjàsurréaliste en soi, s’est heurtée àplusieurs constats qui ont rapidement clôturé le débat.

Tout d’abord, il faut garder àl’esprit que la ville de Bam était une oasis au milieu du désert de Lout. Un système d’irrigation millénaire permet l’approvisionnement en eau de toute la ville et l’irrigation des dattiers. Symboliquement, la ville de Bam, et les vestiges de la citadelle vieux de 2000 ans, témoignent de l‘implantation de l’homme en milieux arides. Ses habitants sont particulièrement attachés àleur ville et àson patrimoine.

D’autre part, dans des cas où les destructions atteignent une ampleur de cette importance et où le coà»t en vies humaines est tel que les lieux restent imprégnés des pertes humaines, une certaine inertie s’empare des survivants. Marqués psychologiquement àlong terme, on constate un certain abattement devant l’ampleur du travail de reconstruction. La tâche peut sembler impossible, voire vaine aux survivants qui demeurent au milieu de ces ruines, rappel constant de la catastrophe. Il pourrait sembler plus judicieux et plus aisé de quitter les décombres pour que la vie reprenne ailleurs.

Mais pourtant, les populations victimes ne veulent pas quitter les lieux ; elles souhaitent rester près de leurs morts, pour pouvoir effectuer leur travail de deuil. En effet, les chiites croient au retour de l’âme de leurs disparus parmi les vivants, la veille de chaque vendredi tout au long de la vie. Tous les jeudis soirs, ils se recueillent avec des bougies sur le tombeau de leurs morts. Ce rituel a compliqué encore plus les travaux de déblayages des ruines. Il n’y a pas de vraie séparation entre la vie et la mort en islam chiite ; les souvenirs de ces morts vont donc persister dans leur mémoire àjamais. Partir de Bam et s’installer ailleurs pourrait équivaloir àoublier leurs morts.

En outre, rester sur place leur permet de surveiller le peu qu’il leur reste, au minimum un terrain, dernier symbole et dernière trace de la vie qu’elles s’étaient construite.

De manière plus pragmatique, les palmeraies et les jardins étant des sources de revenus importantes dans cette région, il est compréhensible que les populations refusent de quitter les lieux pour recommencer ailleurs. D’autant que la solution de la relocalisation de la ville pourrait être pertinente au seul motif de supprimer le risque sismique. Déplacer une ville entière n’a pas de sens, parce qu’une ville n’est pas seulement un espace physique mais aussi le cadre d’une culture et d’une identité, d’activités et de liens sociaux. On ne déplace pas une ville exposée àdes risques sismiques mais on renforce ses structures et ses habitats, afin qu’ils soient résistants au séisme.

Or, l’Iran est parcouru par des failles sismiques : un lieu totalement sà»r pour une nouvelle implantation est donc difficile àenvisager [2].

L’ensemble de ces considérations a amené les autorités et les acteurs extérieurs àenvisager la reconstruction sur les lieux-mêmes de l’ancienne ville de Bam. Notons que suite au séisme de Bam, les autorités iraniennes ont envisagé la possibilité de déplacer la capitale, Téhéran, particulièrement exposée et mal-préparée au risque d’un futur séisme [3]

Diagnostic et premières leçons - III


[1A ce sujet, il est possible de consulter le manuel Sphère qui propose des normes minimales pour la gestion de crise, notamment dans le domaine de l’habitat : www.spereproject.org. Toutefois, nous tenons àquestionner cette tentative de normalisation qui inspire àmettre en place des concepts et des standards humanitaires minimaux. En effet, chaque situation est différente, chaque groupe humain a ses propres règles et les standards ne tiennent compte ni de la diversité culturelle ni de la nature changeante des contextes et des crises.

[2Voir àce sujet la partie ‘sismologie’ du rapport sur le séisme de Bam réalisé par l’AFPS (association française du génie parasismique) disponible sur leur site Internet http://www.afps-seisme.org.

[3Voir àce sujet les articles de presse disponibles sur le site de « L’Iran d’hier et d’aujourd’hui  » : http://fars.ifrance.com/fars/premieres.php, article intitulé : ‘Après le séisme de Bam, l’Iran songe àdéplacer sa capitale.’