Diagnostic et premières leçons - IV



2004


3.2 Inscrire un projet dans son contexte :

L’intervention en zone d’urgence ou de post urgence nécessite de prendre en compte certaines contraintes qui conditionnent la réussite d’un projet. Une action dans un pays tiers ne peut se penser comme une action hermétique ; elle influe sur le contexte dans lequel elle intervient et est elle-même influencée par ce contexte. Ces contraintes peuvent être culturelles, économiques ou légales. Elles sont particulièrement cruciales lorsque l’on s’attaque au cadre bâti et à la question de l’habitat.

Créer un projet pertinent et efficient demande de connaître l’ensemble des vulnérabilités existantes afin de réaliser des projets appropriés et durables. Prendre en compte la question de l’habitat permet de dégager ces contraintes, de les rendre visibles, parce que penser un projet d’habitat implique de questionner sa durabilité et par là même sa pertinence à répondre aux problématiques de fond. A Bam, garder à l’esprit que l’habitat est en lien avec le processus de précarisation des populations affectées par une crise amène à s’interroger sur l’accès à la reconstruction. Or, deux éléments sont alors mis en lumière : la question foncière et la question économique. Comment les populations peuvent-elles reconstruire leur cadre de vie, compte tenu des contraintes légales et matérielles ?

 Population cible :

Suite au séisme, beaucoup d’habitants de Bam ont quitté la ville, notamment pour la ville de Kerman, distante de 180 km. Il est nécessaire de faire un diagnostic sur les causes du départ des populations de Bam afin de déterminer qui est resté à Bam. Cela permettra de mieux cibler les bénéficiaires des programmes de reconstruction. En effet, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : certains restent parce qu’ils n’ont pas de famille dans la région et tous sont imprégnés de la volonté de ne pas laisser leurs morts. Mais au-delà de ces motifs, certains restent parce qu’ils n’ont pas les moyens matériels de partir et d’attendre ailleurs que la reconstruction soit entamée. Ceux-là restent sur les ruines de la maison qu’ils habitaient pour s’assurer qu’ils pourront continuer à y vivre, soit qu’ils ne possèdent pas de titre de propriété, soit que ceux-ci aient disparus dans la catastrophe.

Ce serait donc bien les populations les plus vulnérables qui seraient encore présentes, huit mois après le séisme, sur les lieux de la catastrophe.

Or, ces observations aboutissent à s’arrêter sur la question foncière. Les familles qui ne sont pas propriétaires auront davantage de mal à s’investir dans un processus d’auto reconstruction et risquent de se voir exclues du cœur de la ville une fois la reconstruction achevée. On peut alors craindre l’établissement de zones d’habitat précaire en périphérie de Bam (précarité foncière et précarité du cadre bâti).

 Besoins non couverts des populations :

La vie économique de Bam semble toujours suspendue, arrêtée, puisque la majorité des commerces ont été détruits et que l’activité touristique générée par la citadelle est bien entendue tarie. L’économie a été grandement affectée par les destructions massives et continue de l’être huit mois après la catastrophe. Les importantes pertes humaines ont engendré une disparition de compétences ; la région de Bam manque aujourd’hui cruellement de personnel qualifié, notamment pour la culture des dattes et l’entretient des quanats, également au niveau du travail social. En ce qui concerne les palmeraies, si la réfection des canaux d’irrigation est un élément présent dans la plupart des projets d’aide à Bam, on a pu constater sur place que ces canaux ne sont en effet plus obstrués mais ne fonctionnent pas pour autant de façon optimale. En outre, l’ampleur du travail d’irrigation est trop grande puisque la plupart des palmiers ont manqué d’eau trop longtemps pour lutter contre la sécheresse. Il semblerait nécessaire de mettre en place des programmes de plantation qui sont certainement envisagés par les autorités mais sur lesquels les informations disponibles sont quasi inexistantes.

D’autre part, la disparition d’un grand nombre d’hommes laisse des veuves en charge de la famille, du terrain et de l’entreprise familiale, alors que les femmes n’avaient pour la plupart jamais géré ce type de responsabilités.

La reprise de la vie économique permettrait un impact psychologique majeur sur des populations légitimement traumatisées par les pertes humaines et l’ampleur des dégâts matériels. La population semble particulièrement désarmée devant l’ampleur de la tâche de reconstruction.

Des programmes d’aide visant la reprise d’activités économiques, notamment pour permettre une certaine indépendance des habitants de Bam sembleraient judicieux. Or, à ce jour, il semble qu’aucun programme ne prenne en compte la disparition de tout le réseau des petits commerces par exemple. D’autre part, nombre de veuves se retrouvant sans leur mari, se voient privées de source de revenu ; des programmes imaginant des solutions (formations, ateliers,...) pourraient être envisagés et bien accueillis.

Si l’on sort de la démarche de reconstruire pour les populations et que l’on privilégie le soutien des populations dans leur effort d’auto-reconstruction, on constate la pertinence du lien entre reconstruction de l’habitat et reprise économique. Les populations, pour reconstruire par elles-même, ont nécessairement besoin d’accéder au revenu ; les ONG qui travaillent sur l’habitat pourrait soutenir en amont la reconstruction (notamment au travers de programme de micro-crédits) et l’accompagner ensuite (formation aux techniques parasismiques, contrôle du processus de construction...) tout en contribuant à relancer l’activité économique.

D’autre part, il s’agit non seulement de concevoir une région touchée par un séisme en terme de reconstruction physique des bâtiments, mais aussi de contribuer à la remise en place du tissu social et culturel gravement fragilisé. Reconstruire les habitats, et penser aussi à la reconstruction des écoles, des commerces et de tous les attributs nécessaires à la reprise d’une activité ‘normale’, envisager la reconstruction de l’identité des habitants de la région qui passe certainement par une restauration de la citadelle et du patrimoine historique de manière plus large. Des programmes pourraient également s’atteler à la reconstruction morale des populations touchées par le séisme : en effet, comment s’assurer que des populations profondément traumatisées parviennent à réinvestir les maisons ? Quelle aide psychologique peut être envisagée et pertinente, en tenant compte des conceptions et des croyances locales ?

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