Kaboul, 10 décembre 2005

Une journée particulière



2005
 BOURREAU Marie

Le gardien dans sa petite cahute en bois n’en revient pas. Jamais le chantier Sayeed Djamaluddin n’a autant attiré les foules.
Devant le futur centre afghan de formation des maîtres, les visiteurs attendent, le nez légèrement rougi par le froid, la visite de chantier. Le directeur du département de français de l’Université de Kaboul regarde le bâtiment administratif avec envie. « J’ai reçu beaucoup d’aides pour mon département de français mais là vraiment je suis presque jaloux. Ils ont des locaux formidables pour travailler ». Le directeur du futur "IUFM" semble presque intimidé par tant de monde et de changement.

Il y a quatre ans, lorsque Monsieur Tukhi a retrouvé son centre de formation, ce n’était plus qu’un trou béant rempli de gravas. Karte Seh est le district le plus détruit de Kaboul. Les troupes de Massoud, disent les anciens, n’ont rien laissé de ce quartier résidentiel majoritairement peuplé de Hazaras, ethnie d’origine mongole du centre de l’Afghanistan. A quelques centaines de mètres du chantier, le centre culturel russe, champignon en béton à la gloire de l’amitié soviético-afghane, n’est plus qu’un banal immeuble meurtris de centaines de trous d’obus où s’entassent des familles de réfugiés.

Le centre Sayeed Djamaluddin est sans doute le bâtiment le plus neuf et « le plus beau de Kaboul » ajoute Olivier Guillaume, Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle à l’Ambassade de France. Les chantiers pullulent aux quatre coins de la ville signe que la reconstruction est amorcée. Des immeubles en verre de dix étages sont construits en quelques semaines. Après deux décennies de combats et de plaisirs avortés les Afghans veulent du clinquant, du brillant et du moderne. De la poudre aux yeux autant que du baume au cœur...

Le centre Djamaluddin est beau en toute simplicité. « C’était très important pour nous de respecter les courbes de l’architecture d’origine. Nous avons voulu faire un centre moderne et esthétique tout en respectant l’architecture afghane en utilisant les matériaux locaux » raconte Yves Gauffriau, chargé des programmes de coopération pour l’éducation au sein de l’ambassade de France. Depuis quatre ans qu’il est installé en Afghanistan, souffle-t-il, c’est la première fois que la France via le Ministère des Affaires Étrangères participe entièrement à la reconstruction d’un bâtiment.
Aujourd’hui, seuls les locaux administratifs sont presque finis mais un nouveau chantier de dix salles de classe et d’une bibliothèque vient de démarrer. A l’extérieur, le crépi vient à peine d’être posé. Briques et ciment se marient pour donner à l’ensemble une harmonie de brut et de modernité. A l’intérieur, les volumes sont cassés et les courbes jouent à cache-cache avec les lignes droites. Dans 850 mètres carrés, il fallait créer un amphithéâtre de cent vingt places, des bureaux pour la comptabilité, les professeurs et l’administration. L’auditorium ressemble à un aquarium posé au milieu du bâtiment en lui-même. Mêlant la terre qui rappelle les maisons traditionnelles en torchis accrochées aux collines qui entourent Kaboul, la brique, le bois et le verre, l’amphithéâtre est à la fois le centre névralgique du centre de formation et un puits de lumière pour l’édifice. A l’étage, les bureaux auront une vue plongeante sur l’amphi et les futurs étudiants.

Jusqu’à présent, l’Institut Sayeed Djamaluddin ne pouvait former que deux mille sept cents étudiants. « Nous manquons gravement d’infrastructure et de salles de classe. Cette année, nous n’avons pas pu accueillir autant d’étudiants que nous l’aurions voulu. Nous espérons avec la construction des dix autres salles de classe pouvoir former sept cents jeunes de plus à la rentrée prochaine en Mars » espère monsieur Tukhi, directeur du centre. Derrière lui, quelques dizaines d’étudiants traversent un campus vide. Ce sont les professeurs de demain obligés de recevoir des cours dans des maisons en préfabriqués, aux salles de classe crasseuses et froides.
Un bâtiment, construit spécialement pour les élections présidentielles d’octobre 2004, a l’air d’avoir connu la guerre. Il a à peine un an et demi et reflète parfaitement les incohérences de l’aide internationale. On construit vite, à l’économie et surtout pour du moyen terme alors que les besoins sont immenses.
L’institut Sayyed Djamaluddin, lui, est « fait pour durer » d’après son architecte Jean-Paul Lemdjedri détaché de l’association Architecture & Développement. « Notre but, c’était d’identifier un besoin et d’y répondre le plus concrètement possible » explique Yves Gauffriau. « Et les besoins en terme d’éducation étaient énormes. Favoriser une bonne formation des maîtres, c’est aussi remettre sur pied le système éducatif. Et espérer que les futures générations profitent d’un enseignement de qualité. C’est la base de la reconstruction d’un pays ».

Voir enfin sortir de terre un projet qu’il a fallu porter à bout de bras, négocier au dollars près et expliquer au Ministère de l’Éducation était sans doute un beau cadeau pour celui qui a participé activement à tous les programmes éducatifs en Afghanistan. Après quatre ans d’âpres combats administratifs et financiers, et le jour même de ses soixante ans, Yves Gauffriau a vu son projet emblématique prendre vie. « En juin 2004, j’ai croisé Jean-Paul alors qu’il venait de finir le cinéma Ariana. Je lui ai dit « viens, j’ai quelque chose qui pourrait t’intéresser ». Un vendredi après-midi, nous sommes venus tous les deux sur ces ruines. Et nous avons fait le pari de le reconstruire. Aujourd’hui c’est fait et j’en suis plus qu’heureux ».